Cet article étudie la prise de décision américaine durant l'une des crises les plus célèbres opposant la France aux Etats-Unis. Nous commençons par présenter les données du problème sous l'angle juridique (La nationalisation du canal contredit-elle la convention de Constantinople de 1888 ?) et géopolitique (le surarmement égyptien menace mortellement Israël). Eisenhower et John Foster Dulles interviennent dans ce contexte. Le président exclut d'office un recours à la force contre Nasser, tandis que le secrétaire d'Etat hésite durant les trois premières semaines de la crise. Finalement, Dulles se rallie au point de vue présidentiel et choisit de temporiser en multipliant les démarches diplomatiques. La stratégie cède la place à la communication politique. La première conférence de Londres (16-23 août 1956) met au point une formule pour internationaliser le canal. La seconde conférence de Londres (19-21 septembre) tente d'imposer au Raïs une société de gestion qui remplacerait l'ancienne compagnie. Tous ces plans juridico-diplomatiques n'ont aucune chance d'aboutir dès lors que la Maison-Blanche et le département d'Etat multiplient les déclarations apaisantes qui excluent a priori d'imposer la solution occidentale par les armes. Pourtant, les gouvernements Mollet et Eden n'ont jamais caché aux dirigeants américains leur intention d'en découdre, en cas d'échec des procédures pacifiques. Lorsque la guerre éclate, fin octobre, Eisenhower et Dulles se prétendent, à tort, trompés par Londres et Paris, tandis que Downing Street et Matignon ne sauraient être surpris de l'opposition radicale de leur allié américain.